Les permanences d’écrivain public que je tiens en mairie s’organisent immuablement de la même façon. Un habitant en difficulté avec les institutions, les organismes ou les entreprises prend rendez-vous et le planning se construit, aux dates prévues, selon les horaires disponibles. En principe, ce service est réservé aux habitants de ladite municipalité, on fait confiance, on ne demande pas de pièce d’identité. Ce qui explique que je reçois quelquefois des demandeurs habitant les villes proches ou même éloignées… Mais le Service Public est républicain, et magnanime. Ce qui explique que je trouve face à moi des demandeurs usant largement des capacités de ce service, en ayant bien compris son fonctionnement et ses possibilités infinies. Les profils des usagers de ce service sont plutôt utilisés par des classes populaires, pas à l’aise avec l’Internet ou les procédures complexes des administrations. Je reçois parfois des hommes et des femmes, demandant des recours, des contestations, des actions démesurées par rapport à leurs soucis. On crie au scandale parce qu’un avantage social a été supprimé, on réclame des secours financiers et des effacements de dettes, on exige de moi une action agressive et réparatrice. Au vu des courriers justificatifs des organismes, j’essaie d’expliquer calmement que le délai de recours est largement dépassé, que les questions posées ne reçoivent pas de réponses, que cette lettre n’aura que peu de chance de réussite, rien n’y fait. Il faut plaider la misère, l’injustice, l’acharnement… Si certains sont de bonne foi dans leur réclamations, d’autres, la majorité, comprennent très bien leurs situations, mais avancent des arguments indéfendables, des situations mensongères, des postures larmoyantes ou agressives. Si ma morale et mon éthique sont mises à rude épreuve, mes obligations sont clairement définies par les autorités municipales : on vous demande une lettre, vous l’écrivez. La clause de conscience d’un écrivain est mise à mal. Écrire au Président de la République, au Procureur, à un ministère, sachant que la cause est indéfendable est le rôle convenu d’un écrivain public. Même si je préviens du faible impact de ce courrier. Grandeur et décadence d’un écrivain public au service de – tous – les administrés d’une municipalité…