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Palais de l’Élysée – U.S. Department of State from United States, Public domain, via Wikimedia Commons

Je demande, calmement, à l’homme face à moi, derrière la vitre anti-Covid qui nous sépare, s’il est bien sûr de vouloir écrire au Président de la République. Pour toute réponse, l’homme se lève de son siège, il se penche, les mains à plat sur le bureau, son débit s’accélère, sa respiration s’emballe, il s’énerve.
Cet usager des services municipaux est connu et redouté, tant son caractère acerbe a généré des relations tendues et des discussions stériles. Bien connu des intervenantes du Centre de l’Action sanitaire et Sociale, il exige des passe-droits et des priorités, ne vient pas toujours à ses rendez-vous, sans prévenir ou s’excuser, rudoie les jeunes stagiaires inexpérimentées, en un mot, c’est un personnage désagréable. Il connait bien les droits qui lui sont favorables, les rouages des services d’aide à la personne, il en abuse, il profite de toutes les situations qui pourraient lui apporter des subsides et des avantages de toutes sortes.
Notre dialogue devient surréaliste. «Je veux que Macron m’aide, j’ai la famille au pays, j’ai déjà demandé, le préfet m’a dit que non…» «Avez-vous ce courrier et une copie de vos demandes de regroupement familial ?» L’homme tire de la poche intérieure de sa veste fatiguée une liasse de papiers froissés. Le courrier du préfet est argumenté ; il manque certains documents pour valider la demande. « Avez-vous les certificats de naissance de vos enfants là-bas ?» «Tout a été perdu… les inondations en 2003, la maison cassée…» «Et le livret de famille ?» «Tout perdu, parti dans l’eau… Mais tu vas écrire à Macron pour moi ?»
Le tutoiement m’est adressé d’une voix plus sourde, presque plaintive. L’homme parait sincère, désespéré de l’échec de ses démarches, il veut recevoir en France sa famille restée là-bas… Il m’explique alors longuement sa situation, lui seul vivant en grande banlieue, travaillant dans le BTP, envoyant une partie de son salaire au Maghreb, et son épouse et ses cinq enfants espérant venir vivre en France, une vie meilleure, me dit-il. Il en devient presque touchant…
J’ai toujours pratiqué mon métier avec écoute et empathie, mais pas naïvement. J’y rencontre quotidiennement mon lot de tricheurs. La situation est classique, un regroupement familial contrarié par une administration précise, qui veut naturellement statuer en toute connaissance de cause. Si l’homme a une mauvaise réputation bien établie, il a néanmoins des droits à faire valoir. Et dans un contexte sociétal compliqué, l’écrivain public à son rôle à jouer.
Il s’emporte alors, vociférant que je suis obligé d’écrire ce courrier.
«Alors, tu me l’écris, cette lettre, au Président ?»
Je souris, à lui et à moi-même, dans mon for intérieur. « Je vais écrire cette lettre : Monsieur le Président de la République, etc, etc…»
L’homme m’est reconnaissant, d’un mince sourire. Il a l’espoir fou d’être entendu et que sa famille lui soit amenée en France, pour y vivre des jours heureux… Mais, je sais ce qui va suivre ; il recevra une lettre stéréotypée et courtoise du secrétariat de la Présidence, l’informant que les services concernés vont examiner attentivement sa requête. Et l’homme attendra ensuite une action favorable de l’État envers lui. Comme il manque certains documents indispensables, ce dossier ne pourra aboutir, sauf, en principe, recours argumenté à monsieur le Procureur de la République ou le Tribunal de la Sous-préfecture, service des étrangers.
Il n’existe qu’un mince espoir pour que cette demande soit considérée, c’est faire, sur papier libre, une déclaration sur l’honneur qui recense les membres de la famille, leurs prénoms, dates de naissances, etc. J’ai l’exemple que cela a été bénéfique, une fois… Quand j’explique cette astuce pour pallier le manque de documents officiels, le visage de l’homme s’éclaire d’un sourire et d’un merci murmuré, chaleureux et sincère.
Lorsque j’ai obtenu, il y a plusieurs années, le poste d’écrivain public, la directrice de communication qui me recevait m’a pourtant bien précisé : « Même si on vous demande d’écrire au Président, vous faites cette lettre …! »
De temps à autre, j’écris à l’Élysée.