Depuis 2013, jusque fin 2023, deux municipalités du département 93 m’ont choisi pour tenir, à l’année, des permanences d’écrivain public aux services des usagers en délicatesse avec l’écriture. Pour Villepinte, j’avais appris, par un site d’annonces administratives, l’annonce de la recherche d’un écrivain public à plein temps. Lorsque j’avais téléphoné à la responsable du recrutement, il était trop tard pour postuler, de nombreuses candidatures étaient en examen. Insistant sur mon expérience de cette spécialité – ayant secondé une consœur précédemment qui m’avait beaucoup appris – j’avais proposé une rencontre pour me présenter, ce qui avait été accepté. Lors de ce rendez-vous avec la DRH et la responsable du Point d’Accès au Droit, j’avais été persuasif, sans doute, puisque j’avais obtenu le poste. La belle aventure commençait…
Les cinq premières années, je tenais deux permanences par mois, les matins, de 9 heures à 12 heures, en recevant toutes les demi-heures, donc six usagers ayant pris rendez-vous. Au fil des permanences, je constaterai que nombre de ces rendez-vous ne seront pas honorés par les demandeurs. Rares étaient les usagers annulant ou s’excusant de ne pouvoir venir, malgré une confirmation téléphonique la veille. La conclusion commune avec l’équipe était qu’une prestation gratuite était souvent traitée « par dessus la jambe… » Je proposerai qu’une liste des usagers indélicats soit établie, et que leurs demandes de rendez-vous futurs soient rigoureusement encadrées et respectées.
La sixième année, un nouveau centre culturel à Villepinte s’ouvre, et l’on me propose d’y tenir deux permanences mensuelles, les après-midis suivant mes animations au PAD de la matinée, de 14 heures à 17 heures. Le quartier de Fontaine Mallet où est situé le centre Nelson Mandela est très différent du quartier du Vert-Galant. Vert Galant est le quartier ancien traditionnel de la ville, centré autour de la gare du RER et de la gare routière des lignes de bus. Quant à Mandela, conçu comme un espace centralisateur et fédérateur au sein d’un quartier prioritaire et restructuré dans le cadre du programme de rénovation urbaine, ce grand bâtiment moderne accueille l’antenne Jeunesse, un accueil de loisirs et une crèche.
Les équipes dirigeantes qui se succèderont à la direction et gestion de ces structures auront toutes envers l’Écrivain public une considération réelle et une courtoisie agréable, jusqu’au mois de décembre 2023. Mais, ceci est un autre chapitre que je développerai plus tard…
Pour la mairie des Lilas, c’est la relation avec un client pour qui j’ai écrit la biographie qui m’a permis d’obtenir le poste d’intervenant au CCAS. Ayant écrit « Sacré Lolo » pour mon ami Laurent B. je l’avais plusieurs fois rencontré au CCAS où il accomplissait des démarches pour le suivi de son handicap. Ayant appris que j’avais un tarif horaire largement moins cher que le prestataire en place, j’avais présenté ma candidature, et la dynamique directrice avait été conquise. J’avais rapidement obtenu le poste de deux permanences par mois, deux demi-journées avec six rendez-vous sur réservation téléphonique.
Quelques mois après, on me propose de tenir, l’après-midi de mes permanences matinales, des interventions au Pôle Senior, quelques rues plus loin. J’accepte avec plaisir la promotion. Les usagers sont d’une clientèle différente, plus concernée par les problèmes imposés aux seniors. L’ambiance y est agréable, le bureau donne sur l’aire de jeux de la crèche voisine, les collègues sont sympathiques et me secourent facilement, en cas de problèmes complexes… Jusqu’en fin 2018, où la directrice sauve mon poste à deux reprises, mais les contraintes budgétaires seront impitoyables.
Alors qu’à Villepinte, les Maires successives m’avaient courtoisement reçu à plusieurs reprises, le maire des Lilas, bien que présent au CCAS, ne m’avait manifesté aucune attention ni salué, ne serait-ce que rapidement…
Le métier d’écrivain public est plus un engagement citoyen qu’un métier, par sa dimension humaine au plus proche des soucis des usagers. L’aide apportée à la résolution des problèmes et litiges avec les administrations ou les entreprises apporte donc une profonde satisfaction au prestataire, sous réserve qu’il adopte et pratique des valeurs traditionnelles de tolérance, de respect et d’empathie.
Si ces dix années de permanences d’écrivain public ont apporté leurs lots de déceptions et de frustration, le bénéfice final est plus important que la somme des désagréments. Déceptions et frustration ? Apprendre qu’un courrier n’a pas résolu un problème, constater le mensonge ou la tricherie lors de l’exposé d’un litige, écrire une énième demande de logement à la mairie bien que l’on sache que cette demande sera toujours sans suite, écrire au Président de la République une requête plus ou moins justifiée, sachant qu’une réponse courtoise d’accusé de réception sera sans suivi… En dix ans de permanences d’EP, je n’ai jamais appris que le Président ou ses ministres avaient résolu une de ces demandes – 32 en dix ans… Je me base sur les retours négatifs dont j’ai eu connaissance, mais peut-être y a-t-il eu un succès pour une de ces demandes, qui sait ? Sur ce plan, la déontologie de la municipalité est que, si on vous demande d’écrire une lettre, même à la Présidence, pas d’état d’âme, écrivez-là !
Ce métier m’a fait tenir 238 permanences en dix ans, recevoir environ 1100 usagers – dont une centaine d’habitués à ce service – en demande de rédaction d’une lettre (environ 800 lettres) ou du remplissage d’un formulaire Cerfa ou autre (environ 300). Il est à souligner que ces deux dernières années ont vu l’émergence de demande d’intervention par l’internet, ce qui a fait émerger une nouvelle orientation de la profession, due à ces obligations de visiter les sites des administrations sur le web. C’est ainsi qu’aujourd’hui se profile la profession d’écrivain public « numérique ». Une profession plus complexe, puisqu’au-delà du clavier, de la souris et de l’imprimante qui délivre un courrier papier, se conjuguent les aléas de la navigation internet, la gestion des identifiants et mots de passe, pas toujours bien connus des usagers, la confidentialité des données, le suivi et la gestion des résultats.
Mais, après tout, cette évolution vers le tout numérique n’est que le reflet de notre société et des acteurs économiques qui décident que l’avenir est dans la robotique. La machine plutôt que l’humain… Et pourtant, l’écrivain public a toujours été l’interlocuteur physique de son client, le passeur de mots, l’interprète et le demandeur de justice, celui qui aide et sait traduire le problème de celui qui ne comprend pas ou ne sait pas correctement écrire ou s’exprimer. Et pour cela, la rencontre physique est nécessaire…
Point d’amertume pour moi dans ce constat, pas de « c’était mieux avant ! », juste une prise de conscience de l’évolution des mœurs et des tendances sociétales.
Comment ces deux belles aventures se sont terminées ?
Au Lilas, j’ai appris que la suppression de mon poste était due au choix du Maire d’équiper sa ville en caméras vidéos de surveillance plutôt que de payer un écrivain public à l’année… Le poste a ensuite été confié à une bénévole.
À Villepinte, j’ai appris ainsi la suppression de mon poste par un courriel brutal et inattendu de la direction expliquant la nécessité de « produire un budget 2024 équilibré », donc ne pas reconduire ma convention. À ce jour, il n’y a plus d’écrivain public à Villepinte appointé par la municipalité.
Dont acte…
Aujourd’hui, sur la région parisienne, les postes d’écrivain public rémunérés sont, de plus en plus, tenus par des intervenants bénévoles. Ainsi, les municipalités font des économies d’un budget de plusieurs milliers d’euros… Si ces bénévoles peuvent être compétents, professeurs retraités, bibliothécaires, prestataires en écriture ont-ils les connaissances d’un professionnel qualifié et spécialisé ? Et un obstacle légal à leur activité se dresse : la responsabilité civile. Un particulier ne peut contracter une assurance de responsabilité civile s’il n’est pas déclaré professionnel assujetti aux règles des entrepreneurs. C’est pourquoi le bénévole faisant partie d’une association peut alors être embauché, sous le couvert juridique de cette association. Toutefois, il reste à examiner quels sont les liens entre ladite association et la municipalité qui passe contrat avec elle…
Ces dix années de services rendus aux usagers des permanences d’écrivain public ont été un beau parcours, car mené avec empathie et engagement en faveur de ces personnes démunies devant les soucis engendrés par les administrations, les services publics et privés. Si les fins de mandats ont été brutales, elles font partie du jeu social, et je n’en éprouve aucune amertume. Je préfère me rappeler les sourires et les remerciements – voire les petits mots et cadeaux – de personnes que j’ai pu efficacement aider dans leurs démarches. Sans oublier les très nombreuses réclamations d’usagers frustrés par la disparition des services de l’Écrivain public, et des marques de sympathie d’habitués à nos rencontres. Je l’ai appris plus tard… avec un certain sourire…
Dans la lignée des Écrivains publics, commencée en Mésopotamie vers 3 500 avant J. C., continuée au fil des siècles ici et partout dans le monde, je suis conscient d’avoir été un de ces passeurs de mots au service d’autrui…