Madame K. est une petite personne pétillante portant allégrement ses 65 printemps. D’une présentation impeccable, elle offre au regard un visage rond et expressif, où deux petits yeux doux et moqueurs annoncent une personnalité singulière. Sa mise est soignée, tailleur élégant quoique d’une mode dépassée, la chevelure gris bleutée soigneusement ondulée, un maquillage discret se limitant a deux traits de rouge à lèvres d’un rouge soutenu et un peu de poudre aux joues. Elle marche lentement, en ondulant légèrement un corps fatigué par les années, ce qui lui donne une allure et un charme particulier. Je lui ouvre la porte du bureau de la mairie où je tiens mes permanences d’écrivain public. C’est avec plaisir, car elle est annoncée sur ma feuille de planning, et c’est toujours un entretien agréable et particulier qui s’annonce. Elle s’installe tranquillement sur le fauteuil de droite, posant sur l’autre siège son sac à main en cuir noir défraichi par le temps, et un sac de courses d’une grande enseigne française. « Monsieur Marc, commence-t’elle d’un air confidentiel, l’œil brillant, voilà une petite chose pour vous, en vous remerciant pour votre gentillesse ». Madame K. a un délicieux accent des pays de l’est, chantant les voyelles, adoucissant le rauque des consonnes, ce qui forme un phrasé absolument charmant et envoutant. Je lui ai déjà écrit plusieurs courrier qui ont eu un impact positif sur ses démêles avec des administrations étatiques. Elle me tend alors, avec un air de conspiratrice, une boite blanche au ruban rouge, prometteuse d’un contenu gourmand. Je me confonds en remerciements, sincères. Le geste est plutôt rare, ce genre d’attention vient plutôt de dames plus âgées, d’une autre époque, où l’on exprimait sa gratitude par de menus présents. Mon père, vétérinaire de son vivant, m’a souvent raconté que des paysans exprimaient leurs remerciements par un don de volailles ou de produits de la ferme.Une période où les relations humaines étaient basées sur l’amitié, l’estime ou le respect mutuel… Odette K est tourmentée par le centre des impôts qui ne veut pas comprendre son problème, ou lui redemande des preuves, ou manifeste une désinvolture coupable envers un contribuable régulier. Je dois alors écrire avec modération – mais fermeté – envers ce grand service de l’État. Exercice qui confine à un art d’équilibriste. Je sais faire. Odette K. quitte le bureau avec son courrier imprimé en trois exemplaires, avec un regard reconnaissant envers « son » écrivain public…