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La « Nouvelle orthographe » de 1990

 

Flyer de la nouvelle orthographe

BREF HISTORIQUE DE L’ÉVOLUTION DE LA LANGUE FRANÇAISE

 Depuis l’ordonnance de Villers-Cotterêts en 1539 qui impose le français comme langue administrative officielle dans les documents relatifs à la vie publique, au détriment du latin et des langues régionales, de nombreuses réformes ont vu, au fil des siècles, le français subir des transformations, ajouts et retraits, modifications, pour s’adapter et refléter les transformations et évolutions sociétales des locuteurs de la langue française.
Si un chapitre précédent décrit précisément les actions des plus connus des grands défenseurs et réformateurs de l’orthographe, nombre d’intervenants listés ci-dessous ont aussi agi en proposant des améliorations de l’orthographe et de la grammaire, avec plus ou moins de réussite.
– François de Malherbe (1555 – 1628) construisit au long de sa vie une doctrine (lien), importante réforme de la langue française, lui apportant clarté et précision.
– Jean Godard (1564-1630) fait paraitre « La Langue françoise » (lien), recueil où il propose la suppression de lettres étymologiques et le remplacement des muets par des circonflexes.
– C’est en 1660 que Claude Lancelot, grammairien janséniste, fait paraître sa « Grammaire de Port-Royal » (lien), , un important essai normatif pour la langue.
– Un certain Louis de Lesclache propose en 1668 dans son ouvrage, « Les véritables règles de « l’ortografe francéze » une réforme phonétique, qui ne fera pas suite (lien).
– L’abbé Dangeau membre de l’Académie, tenta également de simplifier l’orthographe, notamment dans une « Lettre sur l’ortografe » (1694) (lien). Certaines de ses préconisations furent prises en compte seulement au cours du siècle suivant.
– En 1730, le « Grammairien des lumières » Du Marsais propose, dans son ouvrage « Des tropes » (lien), une orthographe simplifiée, mais cette tentative ne sera pas couronnée de succès.
– L
‘abbé d’Olivet (1682-1768), homme d’Église, ami de Boileau et professeur de Voltaire, a grandement contribué à clarifier et enrichir la langue par sa participation à l’avancée du dictionnaire de l’Académie française et son livre « Histoire de l’Academie françoise » (lien).
– L’académicien Domergue (1745-1810), surnommé « Le grammairien patriote » fair paraitre en 1778 sa « Grammaire françoise simplifiée » (lien).
Mais ses idées sur la réforme de la langue n’ont connu qu’un intérêt limité.
– À noter la remarque de Voltaire qui en 1764, écrit dans son Dictionnaire philosophique, au chapitre Orthographe : « L’orthographe de la plupart des livres français est ridicule »… « Celles [les fautes] que commettent tous les jours nos traducteurs de livres sont innombrables »… « L’écriture est la peinture de la voix : plus elle est ressemblante, meilleure elle est. « 
– L’Académie française propose deux importantes réformes de l’orthographe française, en 1835 avec la 6e édition de son Dictionnaire, et en 1878, avec sa 7e édition (lien).
– En 1901, Georges Leygues, ministre de l’Instruction publique, arrête le 26 février 1901 que plusieurs usages reconnus par l’Académie française doivent être réduits à une forme simplifiée. Cet arrêté – Arrêté relatif à la simplification de la syntaxe française (lien) va se heurter à l’opposition de l’Académie et à une campagne de presse défavorable ; ne seront gardées que quelques suggestions orthographiques mineures.  
– En 1904, c’est Anatole France qui soutient une campagne réformiste du Français, suivie d’une nouvelle pétition lancée en 1906 par la Fédération internationale des instituteurs.
– En 1952, c’est le Conseil supérieur de l’Éducation nationale qui vote à l’unanimité en faveur des réformes.
– Le ministre de l’Éducation nationale René Haby signe l’arrêté du 28 décembre 1976 – Arrêté français du 28 décembre 1976 relatif aux tolérances grammaticales et orthographiques (lien) qui reprend l’arrêté du 26 février 1901 relatif à la simplification de l’enseignement de la syntaxe française.
Cet arrêté est toujours en application.

LES ANNÉES 80, LES DEMANDES DE RÉFORME

 En 1966, sous l’impulsion de Georges Pompidou, est créée la commission consultative « Haut comité pour la défense et l’expansion de la langue française », puis en 1973, c’est la fondation du Haut Comité à la langue française.
– En 1983, Nina Catach, spécialiste de l’histoire de l’orthographe du français, crée l’AIROÉ, l’Association pour l’information et la recherche sur les orthographes et les systèmes d’écriture. Ses membres sont des militants, des chercheurs du CNRS, des linguistes, qui prônent la nécessité de réformer l’orthographe.
– En 1984, sous Pierre Mauroy, il est remplacé en 1984 par deux nouvelles commissions consultatives : le Comité consultatif à la langue française chargé d’étudier et de faire des propositions sur l’usage et la diffusion à l’étranger de la langue française – la francophonie -, et le Commissariat général à la langue française chargé de coordonner l’action des administrations et des organismes publics et privés.
– Sous le gouvernement Michel Rocard intervient en 1989 un évènement majeur, précurseur de la réforme de l’orthographe de 1990. Le Conseil supérieur de la langue française, CSLF, est créé pour, selon les demandes du gouvernement, « résoudre, autant qu’il se peut, les problèmes graphiques, d’éliminer les incertitudes ou contradictions, et de permettre aussi une formation correcte aux mots nouveaux que réclament les sciences et les techniques, et mettre fin à des hésitations, à des incohérences impossibles à enseigner de façon méthodique, à des ‘scories’ de la graphie, qui ne servent ni la pensée, ni l’imagination, ni la langue, ni les utilisateurs ». Cette commission avait statutairement pour président le Premier ministre et comprenait une vingtaine de membres, des linguistes, des journalistes, des éditeurs, des cinéastes (lien).
Une série de rectifications orthographiques de la langue française ont été publiés par dix linguistes presque tous membres du Conseil sous le titre Moderniser l’écriture du Français et souvent nommé le « Manifeste des Dix » (lien).
Les conclusions du groupe de travail sont présentées aux organismes de politique linguistique belge et québécois. Elles sont également soumises à l’Académie française, qui les avalise à l’unanimité, sous l’impulsion de Maurice Druon, Secrétaire perpétuel de l’Académie, en précisant toutefois : « « L’orthographe actuelle reste d’usage, et les « recommandations »  du Conseil supérieur de la langue française ne portent que sur des mots qui pourront être écrits de manière différente sans constituer des incorrections ni être considérés comme des fautes. »
Intervention du Premier ministre à l’occasion de l’installation du Conseil supérieur de la langue française. (lien)
Lire le Décret n°89-403 du 2 juin 1989 instituant un conseil supérieur de la langue française et une délégation générale à la langue française et aux langues de France. (lien)
En réponse à la lettre du Premier Ministre (lien), le 6 décembre 1990 est publié dans le Journal officiel le rapport sur les « rectifications de l’orthographe » (lien)

LA GUERRE DU NENUFAR

Bien avant et après leur parution, les « rectifications de l’orthographe » de 1990 ont suscité de vives critiques, où leurs partisans et les détracteurs se sont férocement affrontés, comme la querelle des anciens et des modernes lors de la Querelle du Cid , une des plus violentes polémiques littéraires publiques qui ait eu lieu en France. Le pauvre nenuphar, aux graphies changeantes au cours des siècles, a été le point d’orgue et le détonateur de l’affaire. Bernard Pivot résume assez bien la dispute : Ce qui était fort divertissant […], c’était que les réformateurs invoquaient le passé et passaient pour des nostalgiques ; et que les conservateurs rejetaient le passé et passaient pour des modernes. J’étais du parti du nénuphar parce que cette plante appartient à la famille des nymphéacées dont le ph ne se discute pas. Sans compter que les nymphéas, qui sont des nénuphars blancs, s’écrivent eux aussi avec ph. On aurait fait de nénufar un orfelin. »
L’objectif n’est pas de réformer l’orthographe, mais de simplement proposer des ajustements sans que ceux-ci deviennent la norme. La nouvelle orthographe est recommandée, mais en aucun cas obligatoire !
Lire l’article de Robert Chaudenson sur cette guerre… (lien)

LES POSITIONS DE L’ACADÉMIE FRANÇAISE

Cette vénérable institution est considérée unanimement comme le temple des normes de la langue. Elle dit le vrai et le juste, quant à l’orthographe et la grammaire. Néanmoins, elle se montre prudente dans sa position sur l’orthographe réformée ; elle avalise les changements proposés, en intégrant certaines propositions dans son dictionnaire.
En janvier 1991, sa décision est précise quant à l’adoption des nouvelles normes. « Le document officiel ne contient aucune disposition de caractère obligatoire. L’orthographe actuelle reste d’usage. » Elle estime qu’il y a avantage à ce que lesdites recommandations ne soient pas mises en application par voie impérative et notamment par circulaire ministérielle.
Néanmoins, en février 2016, elle précise de nouveau une position de doute quant à la réforme. Elle « s’interroge sur les raisons de l’exhumation par le ministère de l’Éducation nationale d’un projet vieux d’un quart de siècle et qui, à quelques exceptions près, n’a pas reçu la sanction de l’usage  » (lien).
En 1984, le premier ministre crée une « commission de terminologie relative au vocabulaire concernant les activités des femmes ». S’ensuit une controverse sur la féminisation des noms de métiers. Non consultée au début de cette réforme, elle se montre très prudente, une telle réforme
risquerait « de mettre la confusion et le désordre dans un équilibre subtil né de l’usage, et qu’il paraîtrait mieux avisé de laisser à l’usage le soin de modifier « . Néanmoins, cette féminisation fait son chemin dans la société, et amène l’Académie à assouplir sa position.
En tenant ainsi compte des innovations constatées dans la langue, elle adopte à une large majorité les conclusions du rapport sur la féminisation des noms de métiers.

ET MAINTENANT ?

Aujourd’hui, la « nouvelle orthographe » ne se substitue pas à l’ » orthographe traditionnelle ». Toutefois, nombre d’organismes et autorités décrivent les changements proposés, dont l’Académie (lien), et le Renouvo (lien).
L’association Aparo en Belgique, Airoé de France, le Gqmnf du Québéc et l’Ano de Suisse se regroupent en 2001 sous le nom de Renouvo – Réseau pour la nouvelle orthographe du français – , et éditent un document explicatif complet « Le point sur les rectifications orthographiques en 2005 » (lien).
En 2005, une brochure résumant l’affaire a été éditée sous le titre « Le millepatte sur un nénufar »(en librairie)
Concernant l’enseignement, en 2008, les programmes scolaires de France stipulent que : « l’orthographe révisée est la référence ». En 2007, l’orthographe rectifiée est reconnue par l’Éducation nationale. La nouvelle orthographe devient la référence dans les programmes en juin 2008. Mais il faut encore attendre l’année 2015 pour que certains éditeurs commencent à appliquer la réforme de l’orthographe.